À l’étranger Création de DaisY

Un bloc opératoire dédié uniquement à l’ambulatoire

Michelle Cooreman

À l’étranger Création de DaisY

Un bloc opératoire dédié uniquement à l’ambulatoire

Michelle Cooreman

Hospitals.be
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L e développement de la chirurgie ambulatoire a obligé les gestionnaires d’hôpitaux à repenser le fonctionnement du département de chirurgie. Tous les sites hospitaliers en témoignent. En Suisse, à l’Hôpital d’Yverdon-les-Bains, un bloc opératoire pour la chirurgie ambulatoire, physiquement indépendant de la structure stationnaire, a été construit il y a plus de 10 ans. Son nom: DaisY. Comment fonctionne-t-il? Qu’en est-il de la rentabilité?

L’exposé du Dr Jeanne Voûte, médecin assistante au service d’Orthopédie et de Traumatologie de l’Hôpital d’Yverdon-les-Bains, en Suisse, lors des Journées de l’Architecture en Santé à Bruxelles en 2023, avait suscité quelques émotions auprès des participants au congrès. Tant l’approche des patients que l’organisation des interventions avaient fait hausser les sourcils et avaient été amplement discutées pendant le break.

L’évolution du système de santé suisse

Comme en Belgique, la pression sur le système de santé suisse augmente ces dernières décennies. «Les projections démographiques en Suisse montrent que la population continuera de croitre, 1 personne sur 4 aura plus de 65 ans en 2050 et il y aura 2 personnes en âge de travailler pour 1 retraité», explique le Dr Voûte.

En parallèle à cette évolution démographique, il faut faire face à un secteur hospitalier en crise avec une pénurie de personnel, des hôpitaux submergés, des centres de réhabilitation et des établissements pour personnes âgées saturés, le tout compliqué par des crises comme la pandémie du COVID. Ajoutons aux patients malades une partie de la population en bonne santé nécessitant aussi des soins chirurgicaux, qu’il faut gérer sans faire exploser les coûts de santé.

La première stratégie pour faire face à cette situation a été de raccourcir le temps d’hospitalisation. Le concept de chirurgie fast track a donc vu le jour et, grâce aux progrès de l’anesthésie, le développement de parcours cliniques et de la mise en place d’équipes multidisciplinaires, la chirurgie ambulatoire a pris son envol. «Une des conséquences de cette stratégie a été la diminution du nombre de lits d’hôpital par habitant.

Dans les années 2000, l’Europe dénombrait en moyenne 6,4 lits d’hôpital pour 1.000 habitants. En 2018, on en comptait seulement 4,6. La Suisse a suivi cette tendance à partir des années 1990 et, après de multiples réformes du système de santé, c’est seulement en 2019 que les politiques helvètes ont émis une loi obligeant les hôpitaux à entreprendre le virage ambulatoire.

En 2021, on totalisait en Suisse 4,5 lits d’hôpital pour 1.000 habitants. Si on fait le décompte à partir de l’an 2000, la Suisse aura perdu 1 lit d’hôpital sur 6, la tendance s’étant accélérée au moment où la loi est entrée en vigueur.» Le virage ambulatoire s’est bel et bien entamé en Suisse.

La séparation du flux ambulatoire du stationnaire

Dans les années 2000, l’Hôpital d’Yverdon-les-Bains a commencé à être un peu à l’étroit et un projet d’agrandissement a été développé. L’hôpital initial, construit en 1988, avait été conçu sur un plan pavillonnaire. À l’époque de l’agrandissement, l’équipe de chirurgie a souhaité séparer le flux ambulatoire du flux stationnaire et, comme en architecture la forme suit souvent la fonction, l'idée d’un bloc opératoire physiquement indépendant a rapidement émergé.

C’est ainsi que DaisY a vu le jour, actif depuis 2009, où sont proposées 11 spécialités chirurgicales en ambulatoire. Dans le domaine d’activité de l’orthopédie, la plus grande partie est constituée par la chirurgie de la main et les arthroscopies de genoux et d’épaules, suivies de près par la chirurgie du pied, la traumatologie et, désormais depuis plusieurs années déjà, la chirurgie prothétique.

photo hospital operating room

L’efficience, la rentabilité et la sécurité sont les trois grandes lignes directrices du concept de DaisY. Concernant l’efficience en chirurgie, il faut tenir compte des temps dits «incompressibles», comme celui du geste chirurgical, face aux temps qualifiés de «compressibles», notamment le temps de transition entre deux interventions. « Dans un bloc stationnaire comme le nôtre, le temps de transition est d’environ 45 à 60 minutes. » Ce qui laisse la possibilité de raccourcir cette partie de manière significative.

« Au niveau de la conception architecturale, nous avons essayé de simplifier au maximum les trajectoires, notamment en faisant en sorte que la zone où est endormi le patient soit également la zone de réveil. Ceci permet de garder l’équipe d’anesthésie concentrée en un seul endroit, favorise la communication et raccourcit donc le temps de transition. De plus, la zone chirurgicale est desservie par un sas circulaire qui permet de distribuer toutes les zones stratégiques de manière extrêmement fluide et de faciliter la circulation. Nous sommes de plain-pied, aucun temps n’est perdu dans le trafic des ascenseurs. »

Une autonomie et une indépendance totales

L’exploitation de DaisY a été réalisée de sorte que «le bâtiment soit totalement autonome et indépendant du bloc stationnaire, à savoir que tout le matériel chirurgical se trouve sur place, ainsi que le centre de stérilisation et d’évacuation.

Tout le staff travaillant à DaisY est 100% dédié à ce bloc opératoire : l’équipe administrative, les instrumentistes, les aides de salle et les infirmiers travaillent uniquement à DaisY et sont des personnes de référence. Il est ainsi primordial d’avoir une équipe multidisciplinaire centrée sur l’ambulatoire.

Tant qu’il n’y a pas d’urgence, la journée commence avec le premier patient et se termine à la fin du programme chirurgical; il n’y a pas de notion de garde. Cela permet aussi de faciliter l’organisation du travail et toute l’équipe partage le même objectif, c’est-à-dire de faire progresser le programme chirurgical comme prévu.

Dans cette logique de séparation du flux ambulatoire et du flux stationnaire, DaisY bénéficie d’un management séparé, sous la responsabilité d’un trio médical, administratif et infirmier. Toute l’organisation, en passant par le matériel chirurgical, la prise en charge du patient, le programme chirurgical, les consultations d’anesthésie, est complètement gérée par l’équipe de DaisY. Il en va de même pour le service de facturation, spécialisé dans l’ambulatoire.

Un des problèmes déplorés dans les centres ambulatoires est souvent l’accès. Comme DaisY est adjacent à l’hôpital d’Yverdon-les-Bains, mais reste physiquement indépendant et se démarque visuellement, la signalétique est claire et le lieu facile à trouver. Tout a été pensé pour faciliter l’accès: un parking dédié se situe à l’entrée du bâtiment, les transports en public sont à deux pas.

Les spécificités

La zone d’anesthésie est une grande salle de 224 m2, accueillant 15 places d’anesthésie, dont 11 dédiées à l’anesthésie locale et 4 à l’anesthésie générale. «Une des forces majeures de cette zone d’anesthésie est qu’il n’y a pas de lits à proprement parler: le patient qui arrive à DaisY s’installe sur un support modulable sur lequel il va bénéficier de l’anesthésie et de la chirurgie.

Il n’y a plus aucun transfert de patient, ce qui améliore clairement le temps de transition, mais aussi le confort et la sécurité de chacun. Le temps moyen passé à DaisY, anesthésie et chirurgie comprises, est d’environ 4 heures, en fonction du type d’intervention, de la comorbidité et de la surveillance nécessaire en salle de réveil.

La zone chirurgicale a une surface de 340 m2, répartie en 2 espaces et 3 salles d’opération. « Le cœur de DaisY est composé d’un grand espace dans lequel siègent 2 salles d’opération sans aucune barrière physique entre elles. Ce parti pris permet de simplifier l’organisation et l’enchaînement du programma chirurgical d’une manière déconcertante. On peut continuellement discuter entre collègues de l’avancement de l’intervention et organiser l’enchaînement de la suivante. »

Une troisième salle d’opération, plus petite et fermée, est dédiée aux chirurgies qui nécessitent des techniques dans la pénombre, et aussi parfois un peu plus d’intimité.

Une partie de la zone chirurgicale est équipée d’une ventilation spéciale : un flux laminaire qui permet aux infirmières instrumentistes de préparer et d’anticiper leur table d’instruments dans des conditions d’asepsie strictes et de suivre ainsi le programme chirurgical de près. En 2022, sur les 3.960 interventions effectuées à DaisY, aucune hospitalisation de patients n’a été nécessaire. Toutefois, le fait d’avoir le centre hospitalier à proximité garantit une sécurité supplémentaire.

Quelques concepts financiers

Dans le système de santé suisse, le stationnaire et l’ambulatoire ne sont pas tarifiés ni financés de la même manière. Le stationnaire bénéficie de l’aide de l’État à 55% et les autres 45% sont pris en charge par l’assurance maladie, tandis qu’en ambulatoire, il n’y pas d’aide de l’État et le 100% des frais est géré par l’assurance.

Au niveau de la tarification, le stationnaire fonctionne sous forme de forfaits, par type d’intervention, alors qu’en ambulatoire, la facturation est à la prestation. Une prothèse partielle du genou coûtera par exemple 8.000 francs suisses en ambulatoire pour 13.000 en stationnaire.

Cette différence significative s’explique par le fait qu’en ambulatoire la prise en charge est faite par un processus beaucoup plus rapide que le stationnaire et surtout qu’il n’y a pas de coûts liés aux frais d’hospitalisation et au séjour hospitalier.

Plusieurs paramètres sont essentiels à la rentabilité d’un bloc opératoire comme DaisY, notamment le taux d’occupation de la salle d’opération, ainsi que le nombre et le type d’interventions.

« Concernant le nombre d’opérations, nous estimons qu’il faut environ 4.000 interventions par année tout compris pour être rentable financièrement. Quant au type d’intervention, plus l’intervention est complexe, plus elle est rémunératrice, mais plus elle est complexe, plus elle sera chronophage. C’est un équilibre à trouver entre complexité et gestion du débit opératoire. Il faut en plus un service de facturation extrêmement réactif car le volume administratif est quand même significatif. »

Mentionnée plus haut, l’incitation légale au virage ambulatoire a consisté en 2019 à la création d’une liste d’opérations non remboursables par l’assurance maladie si elles étaient pratiquées en stationnaire plutôt qu’en ambulatoire. Ces opérations étaient déjà pratiquées à DaisY avant l’entrée en vigueur de la loi, mais certains centres hospitaliers ont vu leurs pratiques changer drastiquement afin de permettre une accessibilité optimale aux soins suite à la législation.

Pour la sécurité des patients

Pour assurer la sécurité du patient lors d’une intervention en ambulatoire, un itinéraire clinique, piloté par une équipe multidisciplinaire, est mis en place. Une évaluation médicale tant par l’opérateur que par les anesthésistes est réalisée avant l’intervention pour confirmer sa faisabilité en ambulatoire.

Après l’intervention, les patients, sont recontactés par téléphone par un membre de l’équipe d’anesthésie à 24 heures pour évaluer la gestion de la douleur. Lors de cas plus complexes, des visites par un service infirmier à domicile sont organisées dans le postopératoire immédiat.

Tous les patients sont revus 48 heures après l’intervention chez leur opérateur pour l’évaluation des cicatrices opératoires et la gestion de la douleur. Le suivi se fait en fonction de l’évolution du patient: la plupart du temps à 2 semaines, à 6 semaines, à 3 et 12 mois. En orthopédie, de la physiothérapie pré- et postopératoire est prescrite afin d’assurer la réintégration du domicile dans les meilleures conditions possibles.

Sur le plan médical, la sécurité passe par une anesthésie sur mesure. Elle est multimodale et associe différents types d’anesthésie pour que la gestion de la douleur à domicile soit la plus efficace. Les critères de décharge pour le retour à domicile sont extrêmement stricts et tous les patients rentrent à la maison avec un plan pour le contrôle de la douleur.

Lorsque les critères de décharge ne sont pas remplis ou en cas d’urgence, une hospitalisation du patient dans le bâtiment stationnaire à côté s’impose. Au niveau du contrôle de la qualité chirurgicale, plusieurs travaux ont exposé, dans les congrès nationaux et internationaux, les résultats des prises en charge de la prothèse partielle du genou et des prothèses de hanche réalisées à DaisY en ambulatoire.

« Ces études nous ont permis de comparer le taux de complications et de réadmissions avec les outcomes du stationnaire et de constater qu’ils étaient identiques. Les patients étaient assez contents de leur prise en charge ambulatoire. Grace a ces études, nous nous sommes rendu compte que la chirurgie prothétique devait être réalisée le matin pour avoir le temps nécessaire en salle de réveil de bien gérer la douleur du patient. »

L’impact de la pandémie de COVID

En Suisse, le premier patient testé COVID positif date du 25 février 2020. Consécutivement, de mars à mai 2020, toute chirurgie ambulatoire non nécessaire a été arrêtée. « Grâce à la flexibilité d’une structure comme DaisY, nous avons pu continuer les interventions d’ophtalmologie de moins de 15 minutes et qui ne nécessitaient pas la présence d’un anesthésiste.

À partir du moment où toutes les interventions étaient à nouveau autorisées, le statut physiquement indépendant de DaisY a permis - en mettant en place un système de dépistage systématique - de faire de DaisY une zone COVID free, le bâtiment stationnaire étant devenu le bâtiment COVID. Un effet rebond assez significatif a été noté, probablement parce que beaucoup de patients pour qui la chirurgie avait été reportée avant avril ont décidé de se faire opérer, ne sachant pas si la chirurgie non urgente allait être à nouveau arrêtée. La grande flexibilité tant de l’équipe de DaisY que de l’infrastructure nous a permis de faire face à cette situation. Au mois de novembre nous avons presté presque 450 interventions .»

Autre phénomène intéressant lié à la COVID : certains chirurgiens qui avaient tendance à faire leur ambulatoire dans le bloc stationnaire ont dû changer leur pratique et venir à DaisY pour opérer. Cela s’est plutôt bien passé, ils étaient assez satisfaits puisque même après la pandémie, ceux-ci ont maintenu leurs activités ambulatoires au bloc de DaisY.

« Un des facteurs limitant de notre bloc opératoire est la taille actuelle de la salle de réveil. Avec l’aboutissement du concept de DaisY, nous sommes devenus un peu victimes de notre succès. Mais un grand projet d’agrandissement de l’Hôpital d’Yverdon-les-Bains est en cours et, très vraisemblablement, le bâtiment dans lequel siège DaisY sera remanié afin de poursuivre l’optimisation de notre prise en charge ambulatoire. »

Auteur de correspondance :
Dr Alexandre Lunebourg
Médecin chef d’orthopédie
Centre Chirugical de l’Appareil Locomoteur
Hôpital d’Yverdon
CH-1400 Yverdon-Les-Bains

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