Juridique La loi du 13 novembre 2023 en pratique
De nouvelles prérogatives pour le médecin en chef de l’hôpital
Sarah Ben Messaoud
www.altea.be
F igure emblématique de la gouvernance hospitalière, le médecin en chef de l’hôpital est responsable du bon fonctionnement du département médical(1). Pour mettre en œuvre cette mission cruciale, la loi sur les hôpitaux et ses arrêtés d’exécution confient au médecin en chef plusieurs prérogatives. La liste des outils à la disposition du médecin en chef a récemment été étendue à la faveur d’une loi portant des dispositions diverses en matière de santé adoptée le 13 novembre 2023(2).
Cette nouvelle loi, qui modifie la loi sur les hôpitaux et autres établissements de soins(3), octroie des prérogatives supplémentaires au médecin en chef d’un hôpital afin de garantir la qualité et la sécurité des soins. Parfois qualifié d’« arbitre sans sifflet », le médecin en chef dispose là de nouveaux outils lui permettant d’exercer les missions qui lui incombent. C’est l’occasion de rappeler les contours de cette fonction essentielle et d’exposer les points clés de la récente réforme.
Les fonctions du médecin en chef
Conformément à l’article 18 de la loi coordonnée du 10 juillet 2008 sur les hôpitaux, un médecin en chef doit être désigné dans tout établissement hospitalier. Il dispose de missions importantes relatives à l’organisation et à la coordination de l’activité médicale et à son intégration dans l’ensemble de l’activité hospitalière ainsi qu’à la promotion de services médicaux de qualité(4).
Ses fonctions sont définies aux articles 18 et suivants de la loi sur les hôpitaux et, de manière plus détaillée, au chapitre II de l’arrêté royal du 15 décembre 1987. Les pouvoirs du médecin en chef consistent en la prise d’initiatives (énumérées à l’article 5 de l’arrêté) et le contrôle de la mise en œuvre effective des mesure prises (article 6 de l’arrêté) (5).
Il est notamment chargé de prendre «les initiatives nécessaires afin d’associer, entre autres par une activité effective du staff médical, les médecins hospitaliers au fonctionnement intégré de l’hôpital […] et à l’évaluation qualitative […] et à toutes les initiatives qui en découlent pour maintenir ou améliorer la qualité de l’activité médicale(6)».
Le médecin en chef est nommé ou désigné par le gestionnaire après avis du conseil médical(7). En principe, il est désigné pour une durée indéterminée, sauf si le règlement relatif à l’organisation et à la coordination de l’activité médicale de l’hôpital précise le contraire(8).
Il joue un rôle d’intermédiaire entre le personnel médical et le conseil médical, d’une part, et le conseil d’administration, d’autre part. Il est également souvent membre du comité de direction de l’hôpital, si un tel comité est établi. Occupant une fonction de direction, il est régulièrement appelé «directeur médical» (9).
La frontière entre les compétences du médecin en chef et celles du conseil médical est parfois floue notamment s’agissant de la qualité des soins(10). Une bonne collaboration entre le médecin en chef et le conseil médical est donc requise, d’après la commission «Médecine hospitalière» du Conseil national de l’ordre des médecins(11).
Pas de cumul
Dans un avis du 21 janvier 2017 n°a156002, le Conseil national de l’ordre des médecins a examiné la question du cumul des fonctions de médecin-chef et de médecin chef de service au sein d’une institution hospitalière(12).
Même s'il n'y a pas d'incompatibilité légale entre ces deux fonctions, le Conseil national de l’ordre des médecins relève le risque de conflits d'intérêts. Celui-ci estime que « attribuer à une même personne ces deux fonctions aboutit à supprimer un niveau de contrôle interne et à générer un risque de conflit d’intérêts ». Il ajoute que chacune de ces fonctions exige une disponibilité qui les rend de facto incompatibles. Sur le plan de la déontologie, un tel cumul est donc proscrit au sein d'un hôpital.
Un raisonnement semblable a été tenu par le Conseil national de l’ordre à propos de l’incompatibilité de la fonction de médecin en chef et celle de directeur de l’hôpital(13). Si la législation ne prévoit pas expressément que le médecin en chef soit responsable devant le conseil d’administration/gestionnaire de l’hôpital - alors que tel est le cas pour le directeur général(14), un tel constat s’impose en réalité.
En effet, il incombe au gestionnaire la responsabilité générale et finale pour l’organisation et le fonctionnement de l’activité hospitalière(15). À cet égard, le médecin en chef doit préparer et mettre en œuvre les décisions de gestion concernant l’organisation et la coordination des activités médicales « notamment en expliquant sa vision en la matière auprès de l'organe qui, selon le statut juridique de l'hôpital, est chargé de la gestion de l'exploitation de l'hôpital(16) ».
Par ailleurs, le médecin en chef est nommé et révoqué par le gestionnaire de l’hôpital. En outre, lorsqu’il donne des instructions, celui-ci accomplit des actes juridiques en son nom mais aussi au nom de l’hôpital(17).
Alors que les missions du médecin en chef impliquent une responsabilité accrue de celui-ci et nécessitent une collaboration avec les médecins hospitaliers(18), l’arrêté royal le concernant reste muet quant à la façon dont il exerce ses tâches et ne prévoyait pas d’outils concret.
Organiser un audit médical ciblé
En 2014, le médecin en chef s’est vu confier un tel outil: l’organisation d’un audit médical. Depuis lors, celui-ci peut organiser un audit médical ciblé lorsqu’il estime que le bon fonctionnement de l’hôpital est compromis et ce en matière de gestion des risques et de sécurité du patient. Le médecin en chef a la possibilité de contraindre les médecins hospitaliers à participer à cet audit(19).
Cette mission requiert une collaboration entre les différentes personnes concernées par le problème de fonctionnement et nécessite l’établissement d’une procédure dont la description devrait être inscrite dans le règlement sur l’organisation et la coordination de l’activité médicale de l’hôpital(20).
L’article 6/1 de l’arrêté royal du 15 décembre 1987 prévoit qu’en plus d’une explication orale, le médecin en chef doit remettre un rapport écrit sur le déroulement de l’audit au gestionnaire de l’hôpital. Dans un avis du 17 septembre 2016 n°a154009, le Conseil national de l’ordre des médecins précise cette mission ainsi que la procédure à suivre.
De nouveaux pouvoirs
Une nouvelle étape est franchie fin 2023. La nouvelle loi du 13 novembre 2023 portant diverses dispositions en matière de santé octroie de nouveaux pouvoirs au médecin en chef, lui permettant d’exercer ses missions de manière effective et de donner du poids à la politique médicale au sein de l’hôpital.
L’article 9 de la loi du 13 novembre 2023 complète l’article 21 de la loi sur les hôpitaux en y insérant les paragraphes 2 à 4, confiant ainsi des prérogatives d’exécution au médecin en chef et ce afin de garantir la qualité et la sécurité de la prestation de soins. Le texte complète ainsi les mesures dont le médecin en chef dispose pour organiser et coordonner la politique médicale de l’hôpital.
Premièrement, le médecin en chef est désormais autorisé à donner des instructions écrites aux médecins hospitaliers afin de maintenir et/ou d'améliorer la qualité de l'activité médicale et/ou d'assurer la sécurité des patients. Deuxièmement, il peut adresser un avertissement écrit à un médecin hospitalier lorsqu’il estime que l'aspect médical, la qualité des soins ou la sécurité des patients le justifient (21).
Le législateur laisse possibilité au Roi de préciser les règles relatives à ces deux mesures. Un tel arrêté royal n’a pas (encore) été adopté. La mesure est toutefois d’ores et déjà applicable.
Dans l'exercice de ses pouvoirs, le médecin en chef doit tenir compte de la liberté diagnostique et thérapeutique des médecins hospitaliers, à laquelle il ne peut pas porter atteinte. Le rappel théorique est évident et simple. Son application pratique sera plus complexe. Le médecin en chef devra donc veiller à appuyer ses avertissements et ses instructions sur des considérations qui tiennent à la qualité des soins et à la sécurité des patients sans toutefois remettre en question les choix purement thérapeutiques du médecin.
En étroite concertation
En outre, ses pouvoirs d'exécution doivent être exercés en étroite concertation avec le gestionnaire et le conseil médical. Le texte n’impose pas de mécanisme précis pour concrétiser cette concertation. Les hôpitaux sont donc libres d’organiser comme ils le souhaitent, en concertation et de manière pragmatique, le dialogue en ce qui concerne la qualité des soins(22).
Les travaux parlementaires précisent que l’instrument ainsi conféré au médecin en chef n’implique pas un pouvoir de sanction et que l’avertissement n’a aucun impact s’agissant de la relation entre le gestionnaire et le médecin. Ainsi, un avertissement ou les faits qui ont conduit à cet avertissement ne peuvent pas constituer un antécédent pris en compte dans une éventuelle future instruction disciplinaire menée par le gestionnaire à l’encontre du médecin(23).
Par contre, le fait qu’une instruction et/ou un avertissement ait été donné au médecin pourrait avoir un impact sur l’appréciation de sa responsabilité civile si celle-ci était mise en cause. Tel pourrait par exemple être le cas si un acte a été posé par un médecin en contrariété avec une instruction ou avertissement du médecin en chef. Cela n’impliquerait pas nécessairement l’existence d’une faute médicale mais cet élément pourra être pris en compte dans l’appréciation de l’existence d’une telle faute.
L’avis rendu par la section de législation du Conseil d'État(24) à propos du nouveau texte confirme cette interprétation. Celui-ci a en effet précisé que l’avertissement et l’instruction ne peuvent constituer des sanctions, de sorte que ces mesures ne doivent pas faire l’objet d’un avis préalable du conseil médical comme prévu à l’article 137, §1er, 8° de la loi sur les hôpitaux.
La concertation avec le conseil médical au cours du processus revêt une importance particulière. Cette consultation permet en effet d’obtenir le soutien des médecins hospitaliers concernant les mesures à prendre et permet d’assurer le contrôle de la distinction entre la sanction d’une part et l’avertissement et l’instruction d’autre part(25).
Inspirée par le réseau
Les nouvelles compétences du médecin en chef insérées par l’article 9 de la loi du 13 novembre 2023 sont inspirées de celles dévolues au médecin (ou collège de médecins) en chef de réseau dont la fonction a été créée par une loi du 28 février 2019 modifiant la loi sur les hôpitaux, législation qui instaure les réseaux hospitaliers (26).
Conformément à l’article 22/1 de la loi sur les hôpitaux modifié par l’article 17 de la loi précitée, le médecin en chef du réseau est, au sein du réseau hospitalier clinique locorégional, responsable de la cohérence de la politique médicale, en ce compris la continuité des soins et la politique d'admission.
Le médecin (ou collège de médecins) en chef de réseau dispose de la compétence pour donner des instructions aux médecins de l'hôpital du réseau hospitalier clinique locorégional afin d’exercer sa mission et pour assurer la sécurité du patient au sein du réseau hospitalier clinique locorégional.
Les travaux parlementaires précisent que le fait d’ignorer les instructions du médecin en chef du réseau peut avoir d’importantes conséquences en matière de responsabilité si un problème survient. Dans cette optique, il n’est donc pas possible de faire fi d’une instruction donnée par le médecin en chef du réseau(27).
En outre, le médecin en chef de réseau exerce lui aussi sa compétence en accord étroit avec la gestion du réseau hospitalier clinique locorégional et avec le conseil médical du réseau. Les décisions prises par le médecin (ou le collège de médecins) priment sur les décisions des médecins en chef des hôpitaux faisant partie du réseau hospitalier clinique locorégional.
Les travaux parlementaires précisent que «(l)es médecins en chef des hôpitaux individuels conservent, chacun dans leur hôpital, une mission et une responsabilité telles que celles définies dans la loi sur les hôpitaux pour les activités médicales organisées au sein de l’hôpital concerné» et tout ce qui n’est pas explicitement attribué en tant que compétence au médecin (ou collège de médecins) en chef du réseau hospitalier clinique reste de la compétence et de la responsabilité du médecin en chef de l’hôpital individuel(28).
À retenir
On retiendra de la récente réforme qu’elle uniformise les outils dont dispose le médecin en chef dans tous les hôpitaux. Celui-ci ne dépend dorénavant plus uniquement de l’octroi d’éventuels outils par l’hôpital dans sa réglementation générale. Les nouvelles missions seront toutefois à utiliser dans le respect des balises fixées par la loi : la concertation avec le conseil médical et le gestionnaire ainsi que l’interdiction d’imposer ces mesures au titre de sanctions individuelles. Bien compris et utilisés à bon escient, ces outils pourraient revêtir une grande utilité.
Références
(1) Article 2 de l’arrêté royal du 15 décembre 1987 portant exécution des articles 13 et 17 inclus de la loi
sur les hôpitaux, M.B., 25 décembre 1987.
(2) Loi du 13 novembre 2023 portant des dispositions diverses en matière de santé, M.B., 24 novembre
2023.
Ci-après
nommée «loi sur les hôpitaux».
(3) Loi coordonnée du 10 juillet 2008 sur les hôpitaux et autres établissements de soins, M.B., 7
novembre
2018,
art. 18.
(4) Arrêté royal du 15 décembre 1987 précité, art. 2 et 3.
(5) Les recommandations de la commission «Médecine hospitalière» du Conseil national de l’ordre des
médecins
de septembre 2016 précisent les devoirs du médecin en chef (disponible sur
https://ordomedic.be/fr/avis/medecine-hospitaliere/audit-medical/missions-du-medecin-chef-aspects-deontologiques-et-juridiques).
(6) Arrêté royal du 15 décembre précité, art. 6, 11°.
(7) Loi coordonnée du 10 juillet 2008 précitée, art. 18, 1° et art. 137, 4°.
(8) Loi coordonnée du 10 juillet 2008 précitée, art. 22.
(9) F. DEWALLENS, Het statuut van de ziekenhuisarts. De rechtsverhoudingen tussen ziekenhuisartsen
en
ziekenhuizen, Antwerpen, Intesentia, 2015 p. 368 à 370.
(10) Loi coordonnée du 10 juillet 2008 précitée, art. 136.
(11) Recommandations de la commission «Médecine hospitalière» du Conseil national de l’ordre des
médecins
précitées de septembre 2016.
(12) Voy. B. BAYET, M. FONTAINE et Y. HUSDEN (dir.), op. cit., p. 79; Sarah BEN MESSAOUD, Mathilde
COËFFE
et Céline POUPPEZ, «Les grands axes de la législation hospitalière», Pyramides, 35-36, 2021.
(13) Avis du Conseil national de l’ordre des médecins du 20 décembre 2018, n°a123018.
(14) Loi coordonnée du 10 juillet 2008 précitée, art. 17.
(15) Loi coordonnée du 10 juillet 2008 précitée, art. 16.
(16) Arrêté royal du 15 décembre 1987 portant exécution des articles 13 et 17 inclus de la loi sur les
hôpitaux, coordonnée par l’arrêté royal du 7 août 1987, M.B., 25 décembre 1987, art. 5, 3°.
(17) F. DEWALLENS, op. cit., p. 367 et 368.
(18) Loi coordonnée du 10 juillet 2008 précitée, art. 21, §1.
(19) Arrêté royal du 15 décembre 1987 précité, art. 6/1 inséré par l’arrêté royal du 25 avril 2014,
M.B.,
18 août 2014, art. 3.
(20) Recommandations de la commission «Médecine hospitalière» du Conseil national de l’ordre des
médecins
précitées de septembre 2016.
(21) Projet de loi du 12 septembre 2023 portant des dispositions diverses en matière de santé, exposé
des
motifs, Doc., Ch., 2022-2023, n°3538/11, p. 9.
(22) Projet de loi du 12 septembre 2023 précité, p. 9 et 10.
(23) Projet de loi du 12 septembre 2023 précité, p. 9.
(24) Projet de loi du 12 septembre 2023 portant des dispositions diverses en matière de santé, avis du
Conseil d’État, Doc., Ch., 2022-2023, n°3538/11, p. 101.
(25) Comme le relève Chelsea STEVENS dans son article «De nieuwe handhavingsbevoegdheden van de
hoofdarts:
niet langer een scheidsrechter zonder fluit», Juristenkrant, 2023, n°4.
(26) Loi du 28 février 2019 modifiant la loi coordonnée du 10 juillet 2008 sur les hôpitaux et autres
établissements de soins, en ce qui concerne le réseautage clinique entre hôpitaux, M.B., 28 mars 2019.
(27) Projet de loi du 18 septembre 2018 modifiant la loi coordonnée du 10 juillet 2008 sur les hôpitaux
et
autres établissements de soins, en ce qui concerne le réseautage clinique entre hôpitaux, commentaire des
articles, Doc., Ch., 2017-2018, n°3275/001, p. 28.
(28) Projet de loi du 18 septembre 2018 précité, p. 28.
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