Santé financière Le point de vue du banquier

Préoccupations concernant le financement des hôpitaux

Bernard Michaux et Ronny Neckebroeck
Michelle Cooreman

Photo Unsplash.com

Santé financière Le point de vue du banquier

Préoccupations concernant le financement des hôpitaux

Bernard Michaux et Ronny Neckebroeck
Michelle Cooreman

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L a gestion financière d’un hôpital ou d’une institution ne diffère globalement pas de celle d’une entreprise ou d’un ménage. Quand on emprunte de l’argent pour un projet on doit garder son bilan en équilibre et s’assurer de disposer de suffisamment de rentrées pour couvrir les dépenses quotidiennes et rembourser l’emprunt. Seulement, un hôpital est « l’une des entreprises les plus complexes », selon Bernard Michaux, directeur adjoint de Belfius Bank. Avec Ronny Neckebroeck, directeur Public & Social Banking Vlaanderen, il nous donne de plus amples explications sur le point de vue de la banque en matière de financement des projets hospitaliers.

«L’hôpital dispense en tout premier lieu des soins de santé, autant le rappeler. Dans notre lecture de banquier, la finance est au cœur de notre action. Cet élément extrêmement important exprime la différence entre le caractère propre d’un hôpital et celui d’une banque. Nous considérons l’hôpital comme une entité économique à part entière.

Son offre de soins est la traduction d’une mission de santé publique à la population. Ses actions, ses choix vont se traduire financièrement dans ses résultats. En se rappelant que l’hôpital a des enjeux, des missions, des contraintes, des spécificités - disons-le - très spécifiques et complexes», explique Bernard Michaux.

À titre illustratif, le prix de revient des soins dispensés n’est connu que 6 à 8 ans après l’exercice. Il y a un rattrapage, par ailleurs positif ou négatif. Bien que le BMF (budget des moyens financiers) soit ajusté tous les ans avec un décalage sur l’activité de référence (2 à 3 ans), les révisions ultérieures de certains éléments en fonction des charges réelles constatées, des performances relatives, n’interviennent que plusieurs années après.

De plus, un ensemble de législations, de normes et de règlements impacte la finance de l’hôpital sans que celui-ci reçoive nécessairement les moyens financiers pour se permettre de les appliquer (par ex. la sécurité informatique).

Enfin, l’hôpital subit des éléments externes sans pouvoir agir, comme le phénomène d’indexation qui a été conséquent en 2022 à la suite de l’inflation. L’hôpital ne peut pas répercuter immédiatement sur son client/son patient le coût de cette évolution. « Dès lors, le cadre de fonctionnement de l’hôpital est extrêmement ʺsophistiquésʺ. Nous considérons que l’hôpital est l’entité économique la plus complexe à gérer, par ses décalages, ses rattrapages, ses contraintes extérieures… ».

La finance : une contrainte

Du point de vue du financier, deux éléments sont importants, le cash-flow et la solvabilité. «Mettons tout le monde à l’aise, le mot ʺbénéficeʺ est un terme à intégrer dans le raisonnement hospitalier», poursuit le directeur adjoint. Mais, au-delà du bénéfice, l’hôpital doit veiller à dégager un cash-flow permettant de faire face à ses engagements et envisager de nouveaux investissements. Les gestionnaires des hôpitaux l’ont bien compris.

En termes financiers, ce cash-flow est la trésorerie que l’hôpital génère sur une année pour lui permettre de rembourser ses crédits en cours, emprunter à nouveau ou autofinancer une partie de ses investissements. Certains hôpitaux disposent de réserves financières.

Cette trésorerie disponible permet à l’hôpital d’autofinancer ses investissements sans recourir aux banques, mais surtout aussi de faire face à des situations imprévues et temporaires comme une pandémie, des indexations galopantes, une cyberattaque (obligeant l’hôpital à ralentir, stopper partiellement des activités, … il n’a donc plus de rentrées!) ou des situations structurellement inquiétantes comme le financement des pensions des statutaires.

« Même si l’hôpital n’a pas pour mission finale de maximiser ses bénéfices, donc son cash-flow, ces éléments doivent être considérés comme une contrainte : je dois atteindre un niveau de bénéfices ou de cash-flow suffisant pour faire face à mes engagements et continuer à investir ».

Disposer de suffisamment de cash-flow à court terme et en continu est essentiel pour le fonctionnement quotidien de l’hôpital, mais parfois aussi pour des éléments purement opérationnels. Un exemple : un hôpital souhaite implémenter un nouveau système de facturation. C’est un gros projet, dont l’installation est impossible à réaliser en un seul jour.

Conséquence : la facturation prend du retard et ne peut plus rattraper le déploiement des éléments opérationnels. D’où le deuxième élément important pour les banquiers: la solvabilité. C’est la capacité d’un hôpital à créer l’indépendance financière nécessaire à plus long terme et ainsi couvrir des dépenses imprévues (changement de réglementation, cyberattaque…) sans avoir à contracter un crédit à long terme pour chaque petit problème.

« Ce sont les deux éléments que nous analysons de manière pointue: le cash-flow généré sur une base annuelle, pluriannuelle et la solvabilité pour pouvoir être à plus long terme le plus indépendant possible du monde extérieur. Nous ne nous penchons pas sur la partie soins, ni sur la logistique, mais uniquement sur le volet financier, comme nous le faisons aussi pour n’importe quelle autre entreprise commerciale ou ʺnon-marchandeʺ », précise Ronny Neckebroeck.

Hôpital privé vs hôpital public

La banque ne fait pas de distinction dans son analyse financière et dans ses prises de décision entre les différents types d’hôpitaux. Le contexte peut différer parce que les actionnaires sont différents, mais l’attitude de base consistant à analyser le cash-flow et la solvabilité reste identique.

« Et les principes de financement restent les mêmes pour un hôpital quelle que soit sa forme juridique (ASBL, intercommunales, chapitre XII...) », précise Bernard Michaux. « Cependant, il peut y avoir des nuances, des différences. Un exemple: l’hôpital académique a aussi des fonctions de recherche et d’enseignement qui doivent être prises en compte dans le financement. »

Les hôpitaux associatifs privés sont des entités juridiques sans actionnaires au sens où ils n’ont pas la capacité d’injecter du capital pour restructurer ou améliorer la santé de l’hôpital. Ces actionnaires sont souvent des congrégations, des personnes privées, des mutualités. Parler d’actionnaires n’est dès lors pas tout à fait approprié.

Dans l’hôpital public, les actionnaires sont les communes, les provinces, qui ont la responsabilité de prendre en charge les déficits des hôpitaux. Aujourd’hui, elles sont dans une situation financière qui ne leur permet toutefois plus ou pas de combler des déficits et/ou d’injecter du capital.

In fine, et quelle que soit la forme juridique de l’hôpital, le cash-flow et la solvabilité sont les éléments financiers clés à monitorer. Si, par après, un associé, un actionnaire, souhaite soutenir son hôpital, alors c’est un bonus. Un banquier qui prête n’a jamais la certitude d’être remboursé, il doit donc veiller au respect d’une orthodoxie financière par l’hôpital.

L’évolution des investissements

Lors de la pandémie en 2020, les hôpitaux ont donné un coup de frein brutal à leurs investissements. Lorsque le plan d’urgence a été décrété le 17 mars, toute l’activité hospitalière a été concentrée sur les soins aux personnes atteintes de la COVID et aux urgences. Elle s’est arrêtée pour le reste. L’avenir était incertain. C’est le principe de prudence. Mais qu’en est-il depuis?

La réponse est nuancée car il faut distinguer trois catégories d’investissements, selon le directeur adjoint. « Il y a, d’une part, les CAPEX*, les investissements qui concernent le matériel médical (par exemple un appareil d’imagerie médicale à réparer ou remplacer) indispensable à l’activité, le matériel non médical (par exemple la chaudière, l’IT - un poste en forte croissance, notamment pour renforcer les systèmes de sécurité) indispensable au fonctionnement de l’hôpital, et le maintien de l’infrastructure (par exemple la cuisine).

D’autre part, il y a les investissements structurants, ce sont des investissements qui vont au-delà du journalier, essentiellement l’infrastructure ʺbriqueʺ (transfert des compétences liées au financement des infrastructures ʺbriqueʺ et matériel - hors IT - vers les entités fédérées dans le cadre de la réforme de l’État de 2015).

Dans la foulée de ce transfert, la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Région wallonne ont lancé de nouveaux plans de construction quinquennaux. Le premier a démarré en 2019 pour s’achever cette année 2024. Un second plan de construction doit voir le jour en Région wallonne dans les prochaines semaines.

Ces investissements structurants sont extrêmement importants car ils vont impacter l’hôpital non pas sur 10 ou 15 ans comme les CAPEX, mais sur 20 à 25 ans ou plus. Enfin, troisième catégorie à ne pas négliger, d’autant plus aujourd’hui, les investissements avec la notion de durabilité, d’économie d’énergie, qui interviennent bien entendu dans les deux catégories précédentes. »

« Comparé aux années avant la COVID, la pandémie qui a brusquement hissé le drapeau rouge et stoppé toute l’activité classique, a aussi déclenché, accéléré, d’autres éléments, notamment la transformation vers l’hospitalisation de jour, en partie aussi stimulée par les pouvoirs publics par une légère revalorisation du prix de l’hospitalisation de jour», ajoute le directeur Public & Social Banking.

Un autre élément qui y est lié est la problématique du personnel: les emplois vacants sont difficilement comblés, augmentation de la pression psychologique sur le personnel, absences à court et à long termes. À cela s’ajoutent encore le contexte géopolitique (Ukraine, Palestine), la hausse des coûts de l’énergie, la hausse des coûts de la construction qui semblent actuellement se stabiliser – l’indice à la construction a augmenté de près de 31% entre septembre 2020 et début 2022 !

Tout cela a un impact qui n’est pas neutre lorsqu’on projette d’investir ou qu’on a des investissements en cours. « Avant, on pouvait dire dans la perspective du ʺbusiness as usualʺ: des investissements arrivent, les plans financiers sont établis et dans 6 semaines nous pouvons commencer.

Aujourd’hui, c’est véritablement aux directions des hôpitaux et aux conseils d’administration à réfléchir 2 à 3 fois avant qu’un important investissement puisse être lancé. Il n’est pas inhabituel de voir brusquement grimper les coûts de 10 à 15-20% dans un projet d’infrastructure planifié. On va alors effectivement décider d’attendre encore 6 mois et de réétudier le planning financier afin de voir si le moment est actuellement bien opportun pour exécuter ce projet. »

Faire la comparaison pour décider qu’on investit moins maintenant n’est pas si simple. On peut le dire globalement, mais le contexte social plus large a fortement changé.

Financement à différents niveaux

Un important élément que nous n’avons pas encore abordé est le fait que ces investissements ne sont pas supportés à 100% par les instances octroyant des subsides. Bernard Michaux : « Sur les investissements (CAPEX, infrastructures, durable), ce sont les entités fédérées qui assurent le financement depuis le transfert en 2015. Par contre, l’IT reste au niveau fédéral (c’est un volet du BMF où le fédéral intervient).

Sur le volet exploitation (BMF, forfaits, produits pharmaceutiques, honoraires), l’État fédéral reste à la manœuvre. Et représente l’essentiel des rentrées d’un hôpital. Mais, revenons au financement des infrastructures ʺbriquesʺ: le coût n’est pas totalement financé par les entités fédérées. Le financement ne représente qu’un pourcentage du montant total (72,5% pour les hôpitaux généraux ou 98% pour les hôpitaux psychiatriques en Wallonie), le reste est ʺà charge des honorairesʺ, sans parler de la prise en charge des indexations des coûts de construction de ces dernières années qui ont laissé les hôpitaux avec une relative incertitude. »

« Enfin, les hôpitaux sont contraints de veiller à une sécurité informatique accrue pour réduire les risques d’une cyberattaque, mais les forfaits délivrés au travers du BMF fédéral ne sont pas suffisants. Alors, que faire? Les hôpitaux doivent dégager des marges suffisantes pour réaliser ces investissements, ce qui aujourd’hui est compliqué. »

Et nous sommes une fois de plus confrontés à la question de la solidité de l’hôpital, du cash-flow et de la solvabilité, si l’investissement total qu’il souhaite réaliser n’est pas financé. De plus, en Belgique, il n’y a aujourd’hui pas un seul système de financement des infrastructures immobilières, mais un système par entité fédérée, à savoir Vlaanderen, Région de Bruxelles-Capitale (COCOM), Fédération Wallonie-Bruxelles, Région wallonne (Wallonie), Communauté germanophone.

« Pour nous, banquiers, ce sont cinq systèmes avec des nuances et des spécificités propres à chacun que nous devons intégrer. Ce qui ajoute de la complexité. » Les hôpitaux quant à eux n’ont pas le choix: un hôpital général en Wallonie dépend de la Région wallonne, les hôpitaux universitaires dépendent de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Avec toutes les conséquences budgétaires pour ces entités fédérées, quelle est leur capacité à investir dans ce secteur?

Flandre vs Wallonie

« En Flandre, les demandes de subsides doivent passer par le Vlaams Infrastructuurfonds voor Persoonsgebonden Aangelegenheden (VIPA) et cela ne concerne pas uniquement les hôpitaux. Chaque année, près de 800 millions vont au secteur des soins. Les hôpitaux doivent soumettre leurs plans de soins stratégiques au gouvernement flamand et, uniquement sur la base du dossier soumis, qui peut avoir un temps de traitement de 18 mois à 2 ans, ils peuvent éventuellement recevoir une somme forfaitaire stratégique pendant 40 ans - en théorie non limitée dans le temps, mais on part globalement du principe que c’est pour 40 ans – et c’est aussi ainsi que les hôpitaux l’incluent dans leurs plans », indique Ronny Neckebroeck.

Mais comment ce montant est-il indexé dans le futur? « Aujourd’hui, un certain montant est attribué, et la Flandre a récemment décidé d’aussi indexer ce montant – mais pas en fonction de l’indice des prix à la construction qui serait le plus logique (étant donné que les coûts des infrastructures sont impactés par les coûts à la construction), mais en fonction de l’indice santé en Flandre (qui aide en partie mais pas complètement).

Cependant, avec des caractéristiques spécifiques. L’indice santé indexe le montant mais seulement la moitié au début des travaux, l’autre moitié n'arrive que quand le bâtiment est mis en service. Donc, si vous allez construire pendant 4 à 5 ans, seule une partie est indexée. C’est un pas en avant mais ce n’est pas si simple. » Pour la Région Bruxelles-Capitale, le système de financement des infrastructures (COCOM) est en cours de finalisation et devrait être connu avant la fin de cette législature.

« En Wallonie», précise Bernard Michaux, «on suit le même principe. Le financement est à durée indéterminée quand on construit un nouvel hôpital, tout en suivant l’idée qu’un hôpital a une durée de vie moyenne de 25 ans. Par ailleurs, trois éléments d’incertitudes doivent être pris en compte. Le système induit une réflexion sur le dimensionnement futur de l’hôpital et donc, pour la première fois, les hôpitaux ont eu l’obligation de mener une réflexion sur les investissements à solliciter en fonction d’une future activité. Le financement des infrastructures porte sur des durées longues de 25 ans.

On ne sait pas comment la médecine et ses besoins évolueront sur 25 ans. Cette première incertitude porte donc sur l’évolution de l’activité eu égard au dimensionnement de l’hôpital. C’est l’activité qui demain va générer un flux financier par journée réalisée et on constate depuis de nombreuses années une diminution des journées réalisées en hospitalisation classique avec une accélération depuis 2020 du virage ambulatoire avec ses possibles répercussions sur les finances de l’hôpital.

Une seconde incertitude réside dans l’indexation qui est appliquée différemment en Wallonie qu’en Flandre. Ici, l’indice de référence est déterminé par la Région wallonne et la Fédération Wallonie-Bruxelles (indice I) et par le secteur de la construction (indice M). Ces deux différents n’ont pas évolué simultanément. Enfin, le taux d’intérêt de référence qui est utilisé pour déterminer le montant de la subvention diffère aussi d’une année à l’autre. Pour la Région wallonne et la Fédération Wallonie-Bruxelles, il est ajusté chaque année en fonction des taux de l’année en t-1. Ce sont autant de casse-tête supplémentaires pour le gestionnaire de l’hôpital dans le choix du dimensionnement de l’hôpital, de l’activation des mètres carrés de sa construction et du taux d’intérêt bancaire retenu.»

Durée de financement et responsabilité

Aujourd’hui, un hôpital a deux sources de financement: ses fonds propres et le recours au marché des capitaux (soit l’emprunt bancaire classique ou l’appel au marché obligataire). Dans ce dernier cas, le système hospitalier étant tellement complexe dans son financement, peu ou prou d’investisseurs le comprennent et dès lors renoncent à rentrer dans le secteur pour des durées très longues et, plus particulièrement, le financement d’une infrastructure qui porte sur de longues durées (20 à 25 ans).

La durée de financement est toujours ramenée à la durée d’utilisation ou à la durée de vie d’un bâtiment. Ce sera la période d’amortissement. En Flandre, quand un hôpital reçoit pendant 40 ans un forfait stratégique, ils peuvent utiliser le montant chaque année pour rembourser les crédits. Ils ne reçoivent pas la somme totale en une seule fois. L’intention est en effet d’utiliser les subventions pour rembourser le prêt bancaire. La banque met à disposition l’argent nécessaire pour pouvoir construire et aménager, et avec les subsides l’hôpital peut alors rembourser la banque au cours des années suivantes.

«Si l’hôpital arrête ses activités, le financement s’arrête aussi, mais la banque reste avec le crédit, à la différence des entités fédérées, qui financent l’investissement tant que l’hôpital est en activité. Le risque aujourd’hui est pris par deux acteurs: le gestionnaire de l’hôpital qui prend une décision sur 25 ans en général et nous, banquiers, qui prenons l’engagement sur la même période. Gestionnaire et banquier sont alignés dans la durée de l’engagement, pas le pouvoir subsidiant! C’est une nuance importante en ce qui concerne la responsabilité», détaille Bernard Michaux.

« C’est devenu un cocktail difficile: d’une part d’importants investissements dans les infrastructures doivent être réalisés, d’autre part nous voyons que des montants importants sont aussi en jeu pour des investissements en IT ou pour la cybersécurité, tout comme l’investissement dans un dossier patient électronique. Aujourd’hui on constate ici qu’on appuie un peu sur la pédale de frein, tandis que la maintenance des systèmes IT pour l’avenir est un aspect particulièrement important. La cybersécurité est une préoccupation tant pour une banque que pour un hôpital, et il est urgent de continuer à y investir. Toutefois, ce sont typiquement les projets qu’on veut souvent postposer une petite année. Entretemps, la réalité peut bien évidemment nous rattraper», ajoute Ronny Neckebroeck. « Chaque institution doit continuer à investir, une institution qui n’investit pas mourra à terme et elle doit s’en donner les moyens », conclut Bernard Michaux.

Vers un hôpital durable

Dans un hôpital, le terme durabilité recouvre une variété d’aspects sur lesquels les banquiers n’ont pas d’impact, dont le traitement des déchets, les émissions de CO2, la gestion de l’eau… L’hôpital doit faire des choix en la matière et sélectionner la meilleure solution. «Ce que nous, banquiers, pouvons faire lors d’une demande de financement pour un nouvel hôpital, c’est pousser vers une construction zéro émission. Alors, toute l’énergie nécessaire devra être autoproduite par du renouvelable (dans un monde idéal). D’autre part, nous conseillerions de recourir à des certifications internationales de durabilité des infrastructures, comme la certification de BREEAM», déclare Bernard Michaux. Les investissements intégrant le volet durable apportent une rentabilité sociétale et financière.

Ronny Neckebroeck cite un exemple qui montre que le volet durable n’est qu’un aspect de la totalité. «Un hôpital a des plans pour une rénovation complète, dans laquelle figureront probablement des éléments durables comme des panneaux solaires. Mais si vous considérez la totalité, il peut encore être difficile de financer toute la rénovation avec le cash-flow/la solvabilité. D’un autre côté, il se pourrait qu’un hôpital existant décide de placer des panneaux solaires. Seul cet investissement peut être rentabilisé parce que le délai d’amortissement des panneaux solaires n’est que de 4 à 6 ans, ce qui est une raison pour la banque d’accorder effectivement le crédit. Dans une globalité l’inclusion d’éléments durables va déjà aider, mais cela ne veut pas dire que la globalité va automatiquement être considérée comme positive.»

«Une réflexion durable est nécessaire mais la mise en place a un coût aussi, un surcoût non négligeable. Il faut également déterminer les exigences des entités/autorités de tutelle dans ce domaine, et les normes que les institutions doivent atteindre en général (réduction de CO2 pour 2030-2050, comme pour le monde en global). Tout cela impacte le financement», ajoute le directeur adjoint.

Et si on finançait les réseaux?

Aujourd’hui, les réseaux hospitaliers sont ou se mettent en place, sans financement, ou avec un financement très faible. C’est toujours l’hôpital qui a l’agrément et qui est financé. Mais que se passera-t-il si on ne finance plus l’hôpital mais le réseau?

«Cette évolution potentielle bouleversera tous les éléments. Tout dépendra de la manière dont les hôpitaux collaboreront. Sans guidelines strictes quant au fonctionnement des réseaux, il subsiste de nos jours des complexités très variées et très variables entre réseaux. Il y a bien des synergies entre hôpitaux, des avancées, mais, sans éléments concrets qui poussent à s’intégrer activement au niveau fédéral, les évolutions resteront insignifiantes. Cependant, c’est une réflexion que nous avons, nous aussi, dans le dimensionnement d’un hôpital. Comment les hôpitaux vont-ils évoluer demain dans la mutualisation d’éléments, comme la cuisine, la stérilisation? Par réseau ou inter-réseau?», se questionne Bernard Michaux.

«En l’absence de mesures structurelles directrices les hôpitaux sont aujourd’hui libres d’organiser eux-mêmes leur réseau. Mais tout le monde ne voit pas cela du même œil. Et cela crée une évolution de réseaux, des fusions, à de nombreuses vitesses différentes. Cela le rend opaque quand on le regarde au niveau régional ou national. Indépendamment du réseau, le financement de chaque hôpital s’effectue de la même manière. Au sein d’un seul réseau vous avez bien entendu des hôpitaux qui sont en meilleure situation financière que d’autres. L’élément de financement pur et notre évaluation des risques restent distincts par hôpital», confirme le directeur Public & Social Banking.

«La question du réseau est sur la table du banquier lors de la construction d’un nouvel hôpital ou lors d’une rénovation. Un exemple: deux hôpitaux, l’un à côté de l’autre, refont tous les deux leur maternité. Si les deux sont financièrement solides, nous pourrions accorder les crédits. Mais nous nous posons quand même la question: quel a été l’échange entre les deux hôpitaux? Si le réseau décide plus tard de transférer les activités d’un hôpital vers l’autre, le financement du premier s’arrêtera et le remboursement du prêt par les subsides aussi. Il faut donc un nouveau plan financier. Alors, n’est-ce pas au régulateur d’intervenir et aux entités fédérées d’intégrer cette notion d’offre de soins, des réseaux et de durable, et de présenter les balises nécessaires à un développement harmonieux des soins de santé au service de la population?», se demande aussi le directeur adjoint.

Demande aux politiques

Dans toute la réflexion sur l’infrastructure hospitalière de demain il y a deux éléments ajoutés par le ministre actuel des Affaires Sociales et de la Santé publique, Frank Vandenbroucke, qui ne sont pas aboutis: les réseaux et la réforme de la nomenclature. Pourtant, des décisions doivent être prises. Ce que les banquiers demandent aux politiques en tant qu’externes, connaissant la complexité de l’hôpital, ce sont des éléments au niveau des entités surtout fédérales, pour le projet d’avenir souhaité/souhaitable, tout en laissant aux gestionnaires des hôpitaux une période de stabilité pour leur permettre de s’ajuster à ce qui va arriver. Donner à l’hôpital de l’espace pour respirer, pour se mettre en ordre de marche d’une évolution qui, sans aucun doute, est indispensable.

«Aujourd’hui, l’hôpital est au milieu d’un ensemble de tirs qui viennent de partout et il doit les éviter, les intégrer… et a de plus en plus difficile à écrire son plan financier. Comment vont évoluer mes recettes, mes dépenses? Quelles vont être les décisions au niveau fédéral, régional…? Aujourd’hui, l’hôpital a du mal à se projeter. En tant que Belfius, partenaire du secteur hospitalier depuis pas mal d’années - l’analyse MAHA en est à sa 29e édition -, nous demandons aux autorités de donner une stabilité aux hôpitaux pour se mettre en marche vers un nouveau système (quel qu’il soit, nous n’avons pas à intervenir sur ce plan) pour que, nous aussi, nous puissions décider sur des bases compréhensibles», demande Bernard Michaux. Ce cadre stable devrait transcender à la fois l’agenda politique et la législature pour que l’ensemble du secteur puisse évoluer.

Et si le bilan est négatif?

Si le bilan annuel est négatif ou si le cash-flow est insuffisant, chaque gestionnaire va devoir prendre des mesures pour rétablir la santé financière de son institution. Les grands projets d’infrastructure s’inscrivent dans la durée et dans ce cas 1 ou 2 ans de perte ont moins d’importance pour autant qu’on puisse démontrer qu’un résultat positif sera généré ultérieurement.

«Nous ne dirons jamais que l’hôpital gère mal ses finances. Nous savons que gérer un hôpital est extrêmement complexe et nous n’avons que l’élément financier (le bout de la lorgnette). Nous n’avons pas à gérer de pénurie de personnel, des médecins indépendants, des ressources IT… Si une année est mauvaise - l’analyse MAHA montre que les années 2022-2023 étaient très difficiles - nous demandons des projections financières: comment allez-vous revenir à un équilibre permettant de dégager le cash-flow suffisant qui vous permettra de faire face à vos engagements envers la banque? Et nous revenons toujours à la complexité recettes/dépenses avec de plus en plus d’incertitudes, et des variables que les gestionnaires ne peuvent pas toutes contrôler - l’évolution technologique, l’évolution de la médecine, le virage ambulatoire - ce qui rend des projections financières de plus en plus difficiles à réaliser bien qu’elles soient indispensables. Les balises cash-flow et solvabilité doivent constituer le socle financier à atteindre», indique Bernard Michaux, directeur adjoint.

*CAPEX pour Capital Expenditures ou dépenses en capital/dépenses d’investissement. Il s’agit des coûts de développement ou de livraison d’éléments non consommables d’un produit ou d’un système (investissement). La contrepartie est constituée par les dépenses opérationnelles ou Operating Expenditures (OPEX), c’est-à-dire les coûts récurrents pour un produit, un système ou une entreprise.

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