Dossier qualité des soins Accréditation et ranking
Le modèle qualité de Saint-Luc
Jean Stoefs
E n mars 2019, les Cliniques universitaires Saint-Luc (UCL) à Bruxelles ont obtenu une accréditation niveau Platine avec Accréditation Canada International (ACI). Plutôt que de répéter le processus cette année, la direction a choisi une autre voie. Jean Stoefs, directeur Qualité à Saint-Luc, nous éclaire sur le raisonnement suivi.
« Le renouvellement de l’accréditation ACI arrivait en fin de crise COVID et nous nous sommes interrogés. L’évolution du référentiel ACI (vers sa version 4) et la mise en place de notre nouveau dossier informatisé nécessitaient de revisiter de nombreuses procédures. Réaliser ce travail, parfois laborieux, dans un contexte d’épuisement professionnel de certains métiers et de perte de sens ne nous a pas semblé la voie la plus constructive. L’enjeu selon nous était de remettre du sens dans les pratiques, tout en gardant celles-ci alignées avec les meilleures pratiques internationales.
Nous nous sommes alors engagés dans la construction de notre "modèle qualité institutionnel", qui s’appuie sur tous les éléments mis en place grâce à l’accréditation et qui les formalise dans un "référentiel qualité" interne, construit avec nos collègues. Cette réflexion a été facilitée par le premier processus d’accréditation. Sans lui, nous n’aurions probablement pas eu la maturité nécessaire et les éléments essentiels pour élaborer un système de qualité fonctionnel.
Nous avions le sentiment que le système était suffisamment mature (réunions mensuelles du Comité Qualité avec la direction, revue systématique des événements indésirables…) et qu’il était surtout nécessaire que chacun se l’approprie davantage plutôt que de le faire reconnaître une fois de plus par l’extérieur. Nous avons donc finalement décidé de modifier notre approche, soutenus par notre conseil d’administration. »
La création du référentiel propre
« En 2022, nous avons instauré un processus participatif pour demander aux collaborateurs leur définition de la qualité des soins. » Une dizaine de dimensions ont été déterminées dans des focus groups, qui ont réuni une centaine de collaborateurs de tous horizons. Chaque dimension comprend une cinquantaine de thématiques (administration du médicament, gestion du patient fragile, prévention des chutes, identitovigilance*, etc.). On y retrouve tous les grands thèmes de l’OMS ou des référentiels d’accréditation, mais adaptés au contexte de Saint-Luc.
« Le processus participatif a permis de mettre davantage l’accent sur certaines thématiques qui nous semblaient importantes (par exemple la nutrition ou la qualité de l’accueil et de la relation avec les patients). » Pour chaque thématique, un groupe de travail, comprenant personnel de terrain et experts, a été mis en place. Leur mission est de définir les «bonnes pratiques» (10-15 par thématique), des instructions très concrètes à destination du personnel pour faire vivre la qualité sur le sujet, et de revoir toutes les procédures liées. L’objectif étant d’atteindre au minimum le niveau des standards internationaux.
« Le travail avance bien et, début 2024, nous disposerons d’une sorte de "super manuel qualité" détaillant notre vision de la qualité, les grandes procédures et les bonnes pratiques. À la différence d’un référentiel d’accréditation, les exigences ne sont pas génériques mais spécifiques à notre institution et à ses modes de fonctionnement, ce qui facilite l’adhésion du personnel. Les bonnes pratiques reflètent le travail tel qu’il est réalisé par notre personnel de terrain, avec leurs outils et leur vocabulaire habituels. Cependant, il ne suffit pas d’avoir un référentiel, il faut aussi mettre en place la structure pour auditer et analyser les événements indésirables, revoir les procédures s’il le faut. C’est pour cela que nous parlons de "modèle qualité": il désigne l’ensemble des activités qui nous permettent de garantir des soins de qualité et de faire évoluer nos pratiques de façon continue. »
*L’identitovigilance est l’ensemble des mesures mises en œuvre pour fiabiliser l’identification de l’usager afin de sécuriser ses données de santé, à toutes les étapes de sa prise en charge.
Les accréditations spécialisées
En plus de l’accréditation institutionnelle, un hôpital peut aussi obtenir des accréditations (certifications ou agréments) spécialisées. Elles s’appliquent à un ou plusieurs services.
« Par exemple, notre service d’hématologie qui fait des greffes, a une accréditation internationale qui s’appelle JACIE. Sans cette accréditation, le service ne peut pas réaliser et facturer certains actes. Nous avons aussi un centre de traumatologie niveau 1, pour les patients polytraumatisés. Toutes ces activités nécessitent des accréditations, certifications ou agréments particuliers. Nous en avons 31 à Saint-Luc, avec à chaque fois un système qualité propre, mais qui ne concerne qu’un nombre limité de services. »
Une accréditation spécialisée peut être obtenue via un organisme national ou international. Elles ont largement précédé l’accréditation institutionnelle et la démarche évolue vers de plus en plus de certifications spécialisées chaque année.
Le classement de Newsweek
Cette année encore, les Cliniques universitaires Saint-Luc sont classées parmi les 250 meilleurs hôpitaux au monde selon le magazine américain Newsweek, avec quatre Jean Stoefs ce soit réjouissant pour la Belgique d’avoir autant d’hôpitaux sur cette liste : « Nous considérons cela comme un signe de qualité parmi d’autres. La méthodologie de ce classement se base principalement sur la recommandation de personnes interviewées, partout dans le monde. »
Depuis cette année, Newsweek/Statista intègre la notion de qualité au travers des PROMs (Patient Reported Outcome Mesures). Pour un hôpital, il s’agit de récolter les questionnaires patients avant et après une intervention/hospitalisation, et de les utiliser pour améliorer la qualité. La mesure des résultats cliniques rapportés par le patient est finalement la mesure ultime de la qualité, ce qu’une accréditation qui s’intéresse aux processus ne va pas mesurer.
Mesurer les outcomes
Dans les prochaines années, le but est de continuer à travailler sur la mesure des résultats cliniques (les outcomes) pour déterminer si les patients ont une meilleure survie ou une meilleure qualité de vie, sans pour autant comparer les résultats des différents hôpitaux ou établir un ranking.
« J’ai l’impression que la population n’est pas encore tout à fait prête à interpréter ces résultats et que le corps médical n’est pas tout à fait prêt à les montrer. Selon moi, l’enjeu est que chaque hôpital commence d’abord à mesurer et utiliser ces mesures en interne pour s’améliorer. Par exemple en identifiant quel trajet de soins donne de meilleurs résultats. Ensuite, participer à un benchmark avec plusieurs centres internationaux permet de dire que les résultats de l’hôpital sont meilleurs ou pas que la moyenne. En connaître les raisons permettra d’améliorer la qualité, les moins bons apprenant des meilleurs. »
Un enjeu futur ?
Le ministre fédéral des Affaires sociales et de la Santé publique, Frank Vandenbroucke, a lancé une étude (UCLouvain et KU Leuven) pour intégrer des indicateurs de qualité (infections et mortalité intra-hospitalière) dans le financement P4P (Pay for Performance). Il est en effet possible de calculer pour chaque catégorie de maladies (APR-DRG) la mortalité dans l’hôpital et de vérifier si elle est au niveau attendu, supérieure ou inférieure (méthode HSMR). Cela donnera une bonne idée de la performance de chaque hôpital par rapport aux autres. Ces indicateurs pourraient paraître en 2024 et vont dans le sens de la transparence sur la qualité.
Aujourd’hui, le montant attribué pour être accrédité dans le P4P est très faible par rapport au coût et ne couvre même pas les frais d’accréditation. À l’heure actuelle, l’enjeu d’une accréditation n’est donc pas financier.
En conclusion
« La qualité des soins reste un processus d’amélioration continue qui progresse au fil du temps. En 2016-2020, nous avons travaillé sur l’accréditation pour mettre en pratique les normes. Maintenant, nous pérennisons, pour que les bonnes idées instaurées avec l’accréditation restent sur le terrain, tout en élaguant ce qui n’est pas/plus pertinent ou en renforçant certains accents. La troisième étape sera de renforcer le travail sur les outcomes. Une fois que les processus de l’hôpital sont rôdés, ce sont les résultats cliniques atteints qui importent. L’accréditation est un outil, pas une fin en soi, » conclut Jean Stoefs.
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